Auteur : Eric Boisset
Titre : Le Linceul bleu
Genre : roman d’aventures
Thèmes : amitié, plongée sous-marine, travail, maladie
Points forts :
- - L’histoire se déroule aux Antilles, dans un décor exotique et enchanteur.
- - L’auteur mêle à la dure réalité actuelle des pêcheurs des légendes fantastiques qui transforment le quotidien du héros.
- - Les personnages sont bien développés et attachants.
- - Les nombreux dialogues rendent le récit vivant et attractif.
Public-cible : à partir de 14 ans
Date de publication : décembre 2011
Lieu de publication : Belgique, Charleroi
Format : 17 X 11 cm
Collection : « LES PLUMES GRISES »
Numéro dans la collection : LPG4
Nombre de pages : 176 p.
Prix : 8 €
ISBN : 978-2-87540-036-9
Né à Valence en Espagne, Eric Boisset vit en France, dans un petit village de Savoie. Après des études de droit et de lettres modernes, il fait divers petits boulots. Il ne vit pas de son écriture et travaille actuellement comme assistant de conservation du patrimoine dans un centre d’archives départemental. Il a écrit plusieurs romans pour adolescents dont deux trilogies fantastiques et un roman hors genre : Nicostratos. De nombreux prix sont venus récompenser son travail : le Grand Prix des Jeunes Lecteurs PEEP en 1997, le Prix des Dévoreurs de Livres en 1998, 1999 et 2009, etc.
Il aime jouer avec sa biographie et s’inventer des vies extravagantes et extraordinaires. L’une d’elles le fait naître sur l’île d’Ithaque, rêvant de devenir pêcheur d’éponges, mais sa peur de l’eau l’en empêche. A quinze ans, il s’installe à Paris et enseigne le bouzouki et les danses folkloriques grecques, mais doit rapidement quitter la scène suite à une allergie. Il se reconvertit dans l’écriture en publiant cinq albums de bandes dessinées chez Vents d’Ouest et son premier roman Le grimoire d’Arkandias.
Dans une autre biographie, il fait commencer sa vie à Saint-Pétersbourg où, à seize ans, sa carrière de montreur d’ours est interrompue à cause d’une morsure à la cuisse. Il déménage en France où il se lance dans le négoce de caviar et l’animation de cabaret. Il y fait une rencontre décisive : une éditrice le supplie de cesser son vacarme et lui conseille d’explorer d’autres voies artistiques. Il se reconvertit alors dans l’écriture et publie Le grimoire d’Arkandias et Nicostratos pour lesquels il reçoit plusieurs prix.
Dans une autre vie, il se présente comme un fils de Touaregs qui parcourt le désert dès son plus jeune âge et apprend à cuire le pain à même le sable sans qu’il craque sous la dent. Il reçoit un abécédaire pour ses quinze ans et apprend à lire en quelques semaines : sa passion pour la littérature est née. Il décide d’écrire un roman qu’il compose chaque soir au caravansérail. Quelques feuillets emportés par une tempête de sable sont retrouvés par une responsable des Editions Magnard qui accepte de publier Le grimoire d’Arkandias, puis Nicostratos et le deuxième tome de la trilogie d’Arkandias : Arkandias contre-attaque.
Quelques romans
La Trilogie d’Arkandias
- Le grimoire d’Arkandias, Magnard Jeunesse, 1996
- Arkandias contre-attaque, Magnard Jeunesse, 1998
- Le Sarcophage d’Outretemps, Magnard Jeunesse, 1999
Nicostratos, Magnard Jeunesse, 1998
- La Trilogie des Charmettes
- Le Secret de tante Eudoxie, Magnard Jeunesse, 2002
- L’œil du mainate, Magnard Jeunesse, 2003
- L’antichambre de Mana, Magnard Jeunesse, 2004
Les Guetteurs d’Azulis, Magnard Jeunesse, 2007
L’œuf du démon, Plon Jeunesse, 2008
La botte secrète, Editions Thierry Magnier, 2009
Comme tous les matins, Rodrigo plonge en mer avec ses collègues pour y pêcher les langoustes. Son métier, bien que dangereux, le passionne et lui permet de nourrir sa famille tant bien que mal. De plus, il est considéré comme l’un des meilleurs plongeurs sur cette île des Antilles où il habite.Un jour, pourtant, il remonte sans le moindre crustacé : que s’est-il passé lorsqu’il était sous l’eau ? Qu’est-ce qui a bien pu lui faire peur ?
Lorsque Rodrigo Sanchez parut sur la plage de Copán, il commençait à faire jour et la mer déroulait d’ inquiétantes aigrettes d’ acier noir sous un ciel écumeux comme de la mousse de savon. Tout en rejoignant le hangar, le jeune homme savoura le plaisir de marcher pieds nus sur le sable humide. La transition avec la piste dure et sèche empruntée un moment plus tôt, lorsqu’ il avait coupé à travers les bananeraies pour gagner du temps, lui procurait un grand bien-être. Après s’ être débarrassé de son sac de plongée, il ôta sa chemise et rejoignit le groupe d’ hommes qui s’ apprêtaient à mettre à l’ eau le caiuco, sorte de barque à moteur en fibre de verre. Le torse nu, il apparaissait bien bâti, presque athlétique. C’ était un Indien Mosquito à la peau brune et aux pommettes saillantes, âgé d’ environ trente ans. Il s’ immisça entre Juan Bondem et Fructuos Piñal dont les épidermes tannés de soleil portaient de gros tatouages bleuâtres et des marques de scarifications rituelles.
- Te voilà, commenta sobrement Juan qui n’ attendait que le signal pour fournir son effort.
- J’ ai dû me lever cette nuit, à cause de Tiago.
- Rien de grave ?
- Non. Simplement, il a fait un cauchemar.
- Toujours ce poulpe ?
- Toujours.
- Il est tenace…
- Bah ! c’ est le propre des poulpes de se montrer collants.
Le groupe progressa lentement vers la mer sur le sable durci. Puis, tandis que Rodrigo grimpait dans le caiuco, tout le monde repartit en direction du hangar. Le matériel de plongée fut acheminé à bord en quelques minutes. Rodrigo y entassa pêle-mêle les quarante bouteilles rouillées, les paires de palmes, les détendeurs, les masques et les tubas.
- Démarre le moteur, Dago ! lui cria Juan Bondem en se hissant à bord avec aisance malgré son gros ventre. Et vous autres, venez ! Vous discuterez en route.
Les pêcheurs s’ avancèrent en piétinant l’ eau salée. Ils prirent place dans la barque dont le diesel avait commencé de taper sourdement. Le ciel était à présent d’ un gris très pâle, avec de petits nuages pommelés du côté du levant. Enjambant les équipements de plongée, Segundo Rabal, que tout le monde appelait Cuchillado, c’ est-à-dire le balafré, parce qu’ une longue cicatrice violette zébrait son crâne tondu, rejoignit Rodrigo à l’ arrière. Il posa ses fesses sur l’ espèce de replat en fibre de verre qui faisait office de banc, rectifia légèrement le ralenti et se tourna vers le groupe en demandant :
- Bon, vous y êtes ?
Sans attendre de réponse, il mit les gaz et s’ engagea dans le chenal par lequel on quittait le golfe et dont lui seul connaissait les méandres.
- J’ ai fait un drôle de rêve cette nuit, dit son voisin de droite, un plongeur aux côtes saillantes nommé Alejandro Peralta. Je marchais sur une plage de sable noir en portant un bol sur un plateau. Le bol était plein d’ or liquide. Ça faisait comme ce métal qu’ on trouve dans les thermomètres, mais en doré. Et tout à coup…
- Stop ! coupa Luis Rojas en lui prenant le bras. Cállate ! Tu vas nous porter la poisse. Un rêve, ça ne se dit pas.
Les autres approuvèrent. Alejandro porta ses doigts joints à son front et à sa poitrine pour conjurer le mauvais sort.
Je me demande si le banc nous aura attendus ? dit Juan en prenant ses cigarettes dans la poche de son pantalon de treillis. La patience, ça n’ est pas le fort des langoustes. Mais avec ce vent de sud, tout est possible…
- Et que tu me donnes une cigarette, ce serait possible, tu crois ? demanda Fructuos Piñal en montrant ses dents cariées. A moi, le vent du sud me donne surtout envie de fumer.
Fructuos était grand et gros, avec de petites oreilles sans lobes et un regard fourbe d’ ivrogne. Personne ne l’ appréciait. Mais lui seul savait interpréter correctement les tables de décompression, si bien que sa présence à bord était indispensable. Juan lui tendit une cigarette en disant :
- C’ est la seule que tu obtiendras de moi. Tâche de la savourer.
Fructuos remercia et l’ alluma aussitôt avec son briquet à mèche d’ amadou.
- Il paraît que ce n’ est pas bon de fumer avant de plonger, affirma Cuchillado. D’ après ce que disent les docteurs, ça fatiguerait le cœur.
- Fructuos ne risque rien, il n’ a pas de cœur, rétorqua Juan, pince-sans-rire.
- Mais j’ ai encore mes deux oreilles qui me permettent d’ apprécier ton humour, répondit Fructuos sans cesser de fixer du regard les scintillements de la haute mer. Peut-être que ça n’ est pas tant une chance que ça.
[…]
En arrivant à Tela Cedros, Rodrigo se sentit tout à coup si faible qu’ il dut s’ asseoir sur une racine de palétuvier. Le malaise qu’ il éprouvait était fort étrange : une grande lassitude accompagnée de brûlures au niveau des bras et du torse. Il ferma les yeux et prit une inspiration profonde, abaissant son diaphragme et gonflant sa cage thoracique pour réaliser une respiration complète. Il était midi. Les ombres raccourcies semblaient peintes à l’ encre de seiche sur la terre sablonneuse.
- J’ ai exagéré, ce matin, dit-il tout haut. Je n’ aurais pas dû plonger si profond.
Entre les arbres, on pouvait apercevoir les cabanes à toits de tôles du hameau. Quelques dizaines de mètres seulement le séparaient de sa maison mais, dans l’ immédiat, il se sentait incapable de parcourir cette distance. Il vida lentement ses poumons et s’ épongea le front d’ un revers de main.
- Est-ce que tout va bien, Dago ? demanda quelqu’ un derrière lui.
Le jeune homme tourna la tête et reconnut Miguel Trueba, un ancien plongeur aux épaules larges et à la taille mince qui marchait entre deux béquilles depuis plus de vingt années, à cause d’ un accident de décompression.
- Tu n’ as pas l’ air dans ton assiette, mon garçon, reprit Miguel dont les cheveux gris étaient nattés en couettes sur ses oreilles. Vous êtes passés à La Palma ? Un peu trop de bière à jeun ?
- Je n’ ai pas bu, mais je me sens bizarre. Ça me brûle sur le torse et sur les bras.
Le vétéran fronça les sourcils et considéra attentivement Rodrigo.
- Est-ce que ça te picote aux oreilles et sur les ailes du nez ?
- C’ est quoi « les ailes du nez » ? demanda Rodrigo, interloqué.
- Les narines.
- Oui, j’ ai ça aussi.
- Montre-moi ton nombril. Je veux vérifier quelque chose…
Rodrigo retroussa son maillot rouge décoloré par le soleil. Tout le monde respectait Miguel au village, tant à cause de son handicap que pour ses connaissances en matière de médecine de la plongée.
- Pas de mouton, dit l’ ancien plongeur après examen de la région ombilicale. Ce que tu as, ce sont les puces.
- Ça m’ étonnerait ! Je trempe dans l’ eau du matin au soir. Il n’ y a pas plus propre que moi…
- Je ne parle pas du parasite, mais des bulles qui se forment parfois dans les petits vaisseaux qu’ on a sous la peau, après une plongée. On appelle ça les puces parce que ça gratte, tout bêtement.
- Alors, en fin de compte, ce n’ est rien ?
- Tu mourras, mais pas de ça ! Sauf si tu te grattes jusqu’ au sang et que ça s’ infecte.
- J’ ai charge de famille, ça m’ aurait embêté de crever maintenant.
- Ça aurait embêté tout le monde, à commencer par moi. Je te quitte : je déjeune sur le port avec Pepe. Embrasse Horta et Tiago de ma part. Bonne journée, Dago.
Le vétéran s’ éloigna en boitillant entre ses béquilles et disparut derrière un bouquet de poivriers.
[…]
Beggar, Rafael et Gustavo avaient déjà revêtu leurs équipements de plongée. Rodrigo fit de même et sauta dans l’ eau, palmes en avant. Il s’ éloigna de la barque à vive allure, porté par le courant tiède qui refluait depuis la pointe sud de l’ île. La masse verte de Roatán était visible à un mille de là, et toutes les odeurs d’ herbes dont avait parlé Juan arrivaient par bouffées avec l’ alizé. Le jeune homme nagea quelques instants en surface avant de disparaître dans les eaux bleues. Il descendit à lents battements de palmes jusqu’ à une barrière rocheuse couverte de spongiaires jaunes où il crocheta sa première langouste, une très belle pièce qu’ il suspendit à sa ceinture. Le courant qui agitait le sable voilait légèrement la lumière des fonds, mais en contrepartie, il attirait les grands crustacés qui avaient coutume de se poster dans son flux tiède pour chasser sans effort. Rodrigo n’ eut qu’ à tendre le bras pour crocheter quatre autres pièces presque coup sur coup. Il commençait à partager l’ enthousiasme de la première équipe : c’ était vraiment un bon coin ! Après un coup d’ œil à sa montre de plongée, il s’ éloigna le long d’ un tombant drapé d’ algues coralliennes où broutait un groupe de petits poissons irisés. Son idée était de remonter le courant aussi loin qu’ il pourrait afin de surprendre les langoustes avant qu’ elles n’ aient eu le temps de détecter sa présence. Ce serait à coup sûr la pêche de l’ année !
En surface, Juan ne quittait pas des yeux les grappes de bulles marquant l’ aplomb des fonds où évoluait son ami. La réverbération du soleil sur la mer faisait mal aux yeux, mais il ne prêtait aucune attention à cette douleur jaune qui l’ aveuglait. Il pensait à Rodrigo et à la réaction étonnante qu’ il avait eue lorsqu’ il l’ avait mouillé, un moment plus tôt. Comme c’ était étrange de le voir s’ énerver pour si peu… Peut-être avait-il besoin de vacances ? A plonger comme ça tous les jours, même les meilleurs finissaient par s’ épuiser !
Trente mètres plus bas, Rodrigo sentit tout à coup une résurgence d’ eau fraîche sur ses jambes. Il marqua un temps, regarda autour de lui et s’ aperçut qu’ il se tenait au-dessus d’ un cercle de corail d’ une vingtaine de mètres de diamètre, plein d’ une eau bleue et limpide telle qu’ il n’ en avait encore jamais vu. Une cueva azul ! Il nageait en plein au-dessus d’ une cueva azul ! Les paroles de Luis lui revinrent en mémoire, et il fut tenté de basculer de côté pour échapper à l’ attraction du siphon tant redouté. Mais tout aussitôt, la réplique de Juan traversa son esprit : « Les cuevas azules ne sont que de simples trous ». Il pensait de même. Son cœur s’ était mis à cogner très fort dans sa poitrine, martelant ses tempes sous l’ élastique du masque. Il descendit vers le bord du gouffre et demeura un moment immobile, hésitant sur la conduite à tenir. Il était partagé entre le désir de poursuivre sa pêche et une curiosité à l’ égard de ce surprenant phénomène géologique. Après s’ être accordé une minute de réflexion, il bascula finalement dans le trou bleu, bien décidé à voir quel mystère il recelait.
Un gros thon lui fila sous le nez tandis qu’ il s’ engageait dans les eaux sombres. Il le regarda s’ éloigner par saccades vers la lumière de la surface. « La sirène d’ Alejandro », pensa-t-il avec un sourire. La descente se poursuivit sur une dizaine de mètres. Après quoi, il s’ immobilisa pour consulter sa montre de plongée. Il ne devait pas descendre trop profond. Sinon, il faudrait recalculer les temps de paliers, ce qui était impossible sans tables. A travers le carreau embué de son masque et, bien qu’ il fît presque nuit dans la cueva, il remarqua soudain de grandes colonnes blanches dressées autour de lui. Très intrigué, il nagea vers elles et en contourna une, qu’ il essaya d’ enserrer de ses bras. Elle avait deux mètres de diamètre environ et semblait faite de calcaire, un peu comme les stalagmitas de la grotte Aguacatal. Sauf que les stalagmitas se formaient à l’ air, et pas sous l’ eau. Il repensa à ce que Juan avait dit à propos des études des Américains : « Les cuevas sont des grottes pleines d’ eau ». Le sens véritable de ces paroles lui apparut soudain : les cuevas étaient en réalité des grottes envahies par la mer après la formation des stalagmitas, ce qui expliquait la présence incongrue de ces concrétions calcaires par trente brasses de fond. Il continua de nager un moment entre elles avant d’ amorcer sa remontée vers la surface. Toutes les histoires entendues à propos des cuevas n’ étaient en fin de compte que des légendes. Pas de monstres, ni de siphons, mais de stupides trous pleins d’ eau. Alejandro et Luis feraient de drôles de têtes en apprenant qu’ il avait osé y plonger !
Comme il franchissait la limite du trou bleu, quelque chose le percuta et le plaqua violemment contre le cercle de corail délimitant l’ orifice de la cueva. Il crut tout d’ abord qu’ une grande raie électrique l’ avait touché avec sa queue. Se détournant, il eut le temps d’ apercevoir brièvement ce qui l’ avait heurté. Ce n’ était pas un poisson, ni un dauphin. La forme, longue et gracieuse, ne ressemblait à rien de connu. En lieu et place de nageoire dorsale, elle arborait une sorte de crinière ou de chevelure. Une terreur irraisonnée s’ empara de lui et il remonta vers la lumière aussi vite qu’ il put, battant l’ eau de ses palmes et imprimant à tout son corps une ample ondulation. Sa panique était telle qu’ il ne songeait plus aux temps de palier, ni à aucune des règles élémentaires de plongée. Cependant, à six mètres de la surface, il s’ immobilisa brusquement pour consulter sa montre. Sortir maintenant, c’ était aller au devant d’ une mort certaine. « Saltar del sarten para caer en el fuego 1 ». Il détourna les yeux vers le trou bleu où tout semblait calme et prit une longue inspiration. « Je dois me calmer, songea-t-il. Il n’ y a plus rien à craindre, c’ est parti ». Otant son détendeur, il fit un vidage de masque. Après quoi, il inspira par le nez pour bien plaquer le joint de caoutchouc sur son visage. Etre calme comme le bleu de ces eaux, c’ était cela, l’ important. Quant à la chose qui venait de le croiser et de le renverser cul par-dessus tête comme un flotteur de liège, il serait toujours temps d’ y repenser plus tard, à bord du caiuco.
[…]
Rodrigo atteignit les sables du fond en quelques minutes. Il inspecta successivement plusieurs cuevas avant d’ identifier celle qu’ il cherchait inspecta successivement plusieurs cuevas avant d’ identifier celle qu’ il cherchait et que délimitait un anneau de corail couvert de spongiaires jaunes et de gorgones. Sans la moindre hésitation, mais avec un atroce serrement de cœur, il s’ engagea dans le gouffre indigo. Revenir sur le lieu d’ une si grande frayeur était vraiment pur masochisme de sa part. Tout en descendant vers un bleu toujours plus froid et plus sombre, il repensait à la commotion que lui avait causée la rencontre avec la créature. Au choc physique, bien réel et dont il gardait en mémoire la foudroyante violence, s’ était ajouté le choc métaphysique d’ une confrontation avec l’ inconnu. Rien que d’ y resonger, il sentait battre ses tempes sous l’ élastique du masque. Mais peu importait : cette fois-ci, il garderait la tête froide quoi qu’ il arrive. Plus question de céder à la panique, il en faisait le serment.
Il continua de descendre jusqu’ à l’ endroit où le boyau élargi débouchait sur la caverne pleine de stalagmitas. Toutes ces colonnes constituaient un refuge idéal pour la créature, à supposer qu’ elle existe et ne fût pas le fruit de son imagination. Après un coup d’ œil à sa montre de plongée, il s’ engagea sous la voûte hérissée de pointes blanches, à la recherche de sa vision.
Durant une bonne vingtaine de minutes, il explora les reliefs du gouffre, nageant dans une noirceur d’ encre et se cognant la tête à des concrétions tranchantes. Il se maudissait de n’ avoir pas pensé à emporter une torche. Sans lumière, l’ exploration était vouée à l’ échec. Comme il était affreusement têtu, il s’ obstina tout de même à serpenter entre les saillies rocheuses qui lui écorchaient les bras et les épaules. Ce n’ est que lorsque la douleur fut devenue insupportable qu’ il jugea préférable de renoncer. Il quitta la cueva à regret et décrocha la pique pendue à sa ceinture. Maintenant, il s’ agissait de rattraper le retard pris sur les autres. Pas question de louper deux pêches d’ affilée ! Fidèle à une recette qu’ il avait maintes fois éprouvée, il se laissa glisser dans le courant qui refluait depuis la pointe sud. En moins d’ une demi-heure, il cueillit une trentaine de très belles pièces qu’ il enferma dans un filet suspendu à son poignet. Tout en pêchant, il ruminait son échec. Ce qui le faisait tout particulièrement enrager, c’ était de penser que l’ occasion de plonger dans les trous bleus ne se représenterait peut-être jamais plus. Quel imbécile il avait été, d’ oublier cette torche ! Sans le poids du filet à son poignet, il se serait donné des gifles. Comme sa montre indiquait huit heures et demie, il quitta les fonds et monta se poster à six mètres, pour le premier palier.