Auteur : Sophie Rigal-Goulard
Titre : Au bout de mon rêve
Genre : roman psychologique
Thèmes : amitié, amour, relations parents/enfants, mal-être adolescent, rêve
Points forts :
- - Des personnages attachants qui ont foi en leurs rêves
- - Une réflexion touchante sur la difficulté de grandir et d’être soi
- - Une structure de journal intime favorisant une forte identification à l’héroïne
Public-cible : à partir de 14 ans
Date de publication : décembre 2011
Lieu de publication : Belgique, Charleroi
Format : 17 X 11 cm
Collection : « LES PLUMES GRISES »
Numéro dans la collection : LPG3
Nombre de pages : 80 p.
Prix : 5 €
ISBN : 978-2-87540-039-0
Je suis la cadette d’une famille de trois filles, née en 67, dans le 67. Après des déménagements successifs, j’habite aujourd’hui dans un petit village du sud-est de la France. Mon cadre ? Des oliviers, la garrigue à perte de vue et des ciels bleu Cézanne côté couleur… Pour ce qui est de l’ambiance sonore, il faut imaginer le bruit du mistral, ce vent qui rend fou, ou le chant des cigales lorsque l’été s’installe en Provence… Le décor étant planté, la présentation me semble plus facile.
« Au bout de mon rêve » est mon premier roman pour adolescents : une ouverture vers un nouveau public après dix ans durant lesquels j’ai écrit une dizaine de romans pour enfants et autant d’histoires dans des magazines.
Aussi loin que remonte ma mémoire, j’ai toujours eu une activité onirique intense. Enfant, je vivais la plupart du temps dans un monde imaginaire, largement inspiré par mes lectures… Insatiable, je passais des heures dans les bibliothèques afin de satisfaire mon envie de plonger dans des univers différents du mien. Et lorsque je n’avais pas de livre sous la main, il me suffisait d’inventer mes propres histoires pour quitter la réalité !
En grandissant, j’ai continué à rêver, même si les études ont un peu bridé mes chimères… Après un bac scientifique, et un DEUG d’économie, je suis devenue institutrice en 1987. Mariée en 1990, j’ai eu un garçon – Thomas – en 1992, puis une fille – Pauline – en 1995.
C’est avec la naissance de mes enfants que mon imagination s’est réveillée. Je me suis mise à leur raconter des histoires, jour après jour. J’ai fini par en écrire certaines, pour ne pas les oublier ! L’une d’entre elles a atterri chez un éditeur, un peu par hasard… Lorsque j’ai vu mes mots couchés sur les pages d’un livre, mon bonheur a été total ! Après m’en être nourrie, c’était à mon tour de donner du rêve.
Je ne me suis plus arrêtée.
Ecrire est devenu un besoin, et lorsque je suis devant mon ordinateur, le quotidien s’efface. Raconter des histoires, c’est, pour moi, plonger dans un ailleurs pour l’offrir à mes lecteurs. Ouvrir un livre doit être le début d’un voyage. Je bâtis un décor, je crée des personnages, je leur trace des routes et les lance dans leur vie. Je les accompagne pendant quelques mois. Puis, ils prennent leur envol, loin de moi. Ils deviennent alors les compagnons de mes lecteurs. Ils les font vibrer, trembler, rire, s’émouvoir, se questionner, s’inquiéter, pleurer, se révolter… Ils font un peu partie de leurs vies. Jusqu’à ce que le livre se referme. Vient alors le moment d’en ouvrir un autre…
C’est ce que j’aime dans l’écriture. Sans cesse recommencer. Il n’y a pas vraiment de dernière ligne. Juste la fin d’une histoire et le début d’une autre.
Et, lorsque le soir, j’éteins mon ordinateur, je n’arrête pas pour autant d’imaginer. La nuit, je rêve, beaucoup et depuis toujours… D’ailleurs, je me demande parfois où est la limite entre mes rêves nocturnes et ceux que je fais naître avec mes mots. Ils ont des racines communes, c’est certain.
Bibliographie
De 6 à 8 ans
Le caïd du CP, Bastberg, 2000
Un ange gardien à domicile, Casterman, 2003
J’ai fait mousser la fontaine moussue, Rouge Safran, 2007
De 8 à 10 ans
Il faut marier la maîtresse, Bastberg, 2000
Mon père est un gangster, Flammarion, 2000
J’ai effacé la maîtresse, Rouge Safran, 2005
A partie de 10 ans
Recherche toi désespérément, Lito, 2007
Lundi 6 mars. Loreline se réveille dans un lit d’hôpital. Alors qu’elle se lamente sur son « existence minable », un garçon de son âge fait irruption dans sa chambre. D’abord révoltée contre cette intrusion, elle se laisse peu à peu apprivoiser par Geoffrey dont la souffrance fait écho à la sienne et qui est le seul à la comprendre. Grâce à lui, l’adolescente reprend confiance et goût à la vie. Lorsqu’il disparaît, elle décide de le retrouver. Envers et contre tous, elle n’obéit plus, dès lors, qu’à une obsession : « aller au bout de son Rêve »…
Lundi 6 mars
Je ne veux plus dormir.
Chaque fois que je ferme les yeux, ce sont les mêmes images qui reviennent en boucle. La voiture arrive trop vite, ses freins crissent. Je revois encore en gros plan le visage de ce chauffard qui plaque ses mains sur le volant. Ensuite, il y a juste un bruit. Le choc mat de la carrosserie lorsqu’ elle entre en contact avec le scooter. Après, c’ est le trou noir. Un silence absolu qui me glace.
Mon cœur bat la chamade. J’ ai pourtant pris un calmant ce soir. L’ infirmière de nuit a déclaré de sa petite voix désagréable :
— Pas question de nous faire le grand cirque de la nuit dernière. Tu prends ce cachet et, cette fois-ci, tu vas dormir.
Je n’ ai pas eu la force de rire, mais j’ aurais dû ! « Le grand cirque », c’ est simplement appuyer trois fois sur le petit bouton rouge qui communique avec la salle des infirmières de garde. J’ aurais aimé que l’ une d’ entre elles puisse effacer le film qui se déclenche sur l’ écran noir de mes nuits blanches. Seulement voilà, à l’ hôpital Sainte-Anne, les infirmières ne possèdent pas de télécommande. Elles ont juste des petites gélules et des airs revêches. Avale et tais-toi, ça va passer…
Il y a quatre jours à peine, j’ ai été violemment expulsée de la selle arrière d’ un scooter et il faudrait que je sache déjà tourner la page et penser à autre chose ?
Je rallume le néon pour la cinquantième fois. Je déteste cette lumière blafarde : elle rend la chambre encore plus sinistre. Je me dirige lentement vers la salle de bains. J’ ai un peu mal à la jambe gauche. C’ est elle qui a touché le trottoir en premier lieu, juste avant que mon visage n’ aille à son tour s’ exploser sur l’ asphalte. La visière de mon casque a éclaté, mais il paraît que j’ ai eu une « chance incroyable ». C’ est ce que m’ a affirmé l’ urgentiste lorsqu’ il m’ a examinée à mon arrivée à l’ hôpital.
— Sans casque, jeune fille, tu étais morte, m’ a-t-il dit en recousant mon front. Certes, la visière t’ a un peu amochée, mais tu reviens de loin…
J’aurais peut-être dû sauter de joie, mais je ne l’ ai pas fait. J’ ai continué à pleurer, en silence. D’ abord parce que j’ avais mal, ensuite parce que j’ en avais vraiment assez d’ avoir tiré le mauvais numéro à la loterie de la vie. Pour une fois qu’ il m’ arrivait quelque chose de bien, il a fallu que la guigne m’ attende au détour d’ un virage. C’ est vrai, je n’ ai pas tous les jours la chance de monter sur un scooter. Léa, ma meilleure amie, parvient à s’ en faire prêter un, et notre petite escapade dure moins d’ un quart d’ heure !
Léa s’ est juste cassé le poignet : c’ est elle qui s’ en sort le mieux. Elle a toujours eu plus de veine que moi, de toute façon.
Devant la glace, je soulève doucement mes pansements. J’ ai l’ impression de voir un monstre dans le miroir. J’ ai une balafre en plein milieu du front, un œil complètement tuméfié et le nez qui a doublé de volume.
Je sens que mes joues se mouillent à nouveau. En ce moment, je pleure au moins une fois par heure. Le médecin dit que c’ est lié « au traumatisme de l’ accident ». Je sais qu’ il se trompe. Je pleure sur moi, tout simplement. Je pleure sur mon visage ravagé, mais aussi sur mon existence minable. Je pleure parce que j’ ai cette impression désagréable d’ avancer vers le vide. Je pleure à cause d’ un présent plutôt gris qui laisse entrevoir un avenir carrément noir. Je pleure parce que j’ aurais aimé naître ailleurs, avec des fées qui se seraient vraiment penchées sur mon berceau. Mais mes gentilles marraines ont oublié de venir me voir après ma naissance ou alors elles ont cassé leurs baguettes magiques.
C’ est bête ! Je ne peux même pas m’ essuyer correctement les yeux avec tous ces pansements !
[…]
Je n’ en reviens pas moi-même, mais c’ est la réalité. Ce week-end, j’ ai passé plus de quatre heures avec lui ! Au début, bien sûr, je suis restée méfiante et fermée. J’ étais là pour me faire une opinion définitive sur Geoffrey et, pour tout dire, j’ étais persuadée que j’ allais rester quelques minutes seulement en sa compagnie. Il m’ avait dit qu’ on se ressemblait. J’ attendais qu’ il me le démontre et j’ espérais qu’ il y arriverait vite. Comme je ne desserrais pas les dents, il a commencé par faire la conversation pour deux, en me décrivant, avec force détails, son univers quotidien. Il a deux frères et des parents commerçants, donc plutôt occupés. Sa vie est réglée comme du papier machine : lycée privé, cours de maths privés, propriété privée… Chez les Gobert, on ne se mélange pas au peuple. C’ est ce que je lui ai dit, très vite, après avoir écouté son petit discours de présentation.
¾ C’ est vrai, m’ a-t-il répondu avec un sourire un peu triste. Mais, rassure-toi, mes parents se donnent bonne conscience en versant de l’ argent chaque année aux « Restos du Cœur ». Et puis moi, vois-tu, je fuis cette existence bien lisse en me transformant au hasard des pièces que je joue. Je n’ aime pas vraiment ma vie de Geoffrey Gobert. Je m’ en évade dès que je peux. Ma porte de sortie, c’ est le théâtre. Je fais partie d’ une petite troupe de passionnés. Toi, par contre, tu m’ as donné l’ impression d’ être encore enfermée. Je crois que tu étouffes dans cette cage bien close qu’ est notre vie d’ ado. Tu as sûrement le sentiment de vivre une existence qui n’ est pas faite pour toi, qui te ronge et qui te tire vers le bas en permanence. C’ est pour cette raison que je te ressemble, Loreline. Tu n’ imagines pas à quel point…
En entendant ces paroles, je suis restée muette. Ce garçon que je connais à peine a saisi l’ essentiel de mon mal-être. Il a su voir, à travers mon discours larmoyant et agressif à l’ hôpital, le nœud même du malaise qui se cache en moi et qui m’ étouffe. D’ un seul coup, je me suis sentie presque nue. En tout cas, prise en flagrant délit de déprime. J’ ai commencé à croire qu’ il avait dû passer par les mêmes sentiments que moi pour en parler aussi bien.
J’ ai regardé l’ inconnu qui me faisait face avec des yeux nouveaux. Peut-être que, finalement, nous avions quelques points communs… Et je crois que c’ est à ce moment précis que notre histoire a vraiment démarré.
[…]
On s’ envole tous du nid… C’ est ce que je me dis ce soir en écoutant mes parents se déchirer. Geoffrey est là, et ce sont ses paroles qui résonnent en moi.
C’ est la première fois que j’ envisage les choses de son point de vue. L’ alcoolisme de mon père nous gâche la vie. Mais ce soir, je n’ ai pas envie d’ ouvrir la fenêtre en me penchant de plus en plus comme je le fais parfois. Je ne veux pas jouer à défier du regard les vingt étages qui me séparent d’ un monde sans cris et sans pleurs. Non, ce soir, je serre les dents et je pense aux paroles de Geoffrey. C’ est lui qui a raison. Ma vie sera un jour différente, je prendrai mon envol et je n’ atterrirai que lorsque le monde d’ en bas ressemblera à celui dont je rêve.
J’ ai envoyé un texto à Geoffrey. Je lui ai juste dit que je commençais à trouver mes valises un peu moins lourdes à porter.
[…]
Papa m’ a surprise hier en train de recopier ces mots. Ca l’ a bouleversé parce que sa lèvre s’ est mise à trembler. Il doit penser que je suis en train de devenir folle. Il a même téléphoné au docteur Montorgueil. Ce matin, à l’ hôpital, ça n’ a pas raté : le médecin s’ est mis à me parler de Geoffrey. Il m’ a demandé qui était le garçon dont j’ écrivais le prénom et ce que cet acte m’ apportait. Le pédopsychiatre me regardait avec ses petits yeux à moitié fermés, les bras tranquillement croisés sur sa poitrine. Il évoquait le seul sujet qui me tienne à cœur, comme s’ il parlait d’ un chat égaré ou de ce qu’ il allait manger le soir. J’ ai croisé les bras moi aussi et j’ ai plissé mes yeux, comme une grande professionnelle des cerveaux. Ensuite, je lui ai dit :
¾ Je n’ en ai pas la moindre idée. Je ne connais pas de Geoffrey. De qui voulez-vous parler ?
¾ Tu le sais très bien, Loreline, a continué mon tortionnaire. Ce garçon que tu réclamais beaucoup lors de ton réveil à l’ hôpital et qui te hante encore.
¾ Il n’ existe pas, ai-je dit en me levant. C’ est une pure invention de mon esprit. J’ aimerais d’ ailleurs qu’ on arrête de parler de lui.
¾ Et moi, j’ aimerais plutôt que tu ailles au bout de ton rêve, Loreline. Accepte d’ en discuter avec moi. Et, surtout, admets que ce n’ était qu’ une illusion. C’ est le prix à payer pour que tu ailles mieux.
Aller au bout de mon rêve ? Ce cher docteur Montorgueil n’ imagine pas le chemin que j’ ai parcouru en songe. Je suis incapable de recommencer et il me semble que j’ ai déjà payé assez cher.